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Brief

Publié le : 25/06/2024

La communication engagée doit-elle être militante ? – Interview croisée Agathe Weil et Irène Fasseu

La communication engagée doit-elle être militante ?

Agathe Weil :
Oui ! Il n’y a pas d’engagement s’il n’y a pas d’action. Le militantisme actif est indispensable pour crédibiliser la communication, concrétiser la démarche. Sans cela, on tombe dans le greenwashing, le pinkwashing… c’est-à-dire utiliser l’argument de la cause de manière trompeuse pour améliorer son image. C’est, selon moi, un ennemi féroce de la communication.
Ce qui est essentiel lorsqu’on se lance dans une communication engagée, c’est de garder en tête qu’en communication, on ne doit pas s’adresser qu’aux convaincus. Nous avons, communicantes et communicants, la responsabilité d’écouter, de comprendre, d’analyser et enfin de décider de stratégies qui sauront embarquer les publics qui ne sont pas naturellement sensibles ou sensibilisés à la cause que nous défendons.

Irène Fasseu :
Cette question me fait penser à celle qu’on m’a souvent posé lorsque j’étais dircom en collectivités territoriales « la communication publique est-elle différente de la communication politique des élus ? ». L’une sert l’autre et vice versa.
Une organisation, qu’elle soit privée ou publique, qui communique sur ses valeurs et sa raison d’être, rend de fait sa communication engagée, puisque le sujet de communication va au-delà des services ou produits qu’elle commercialise ou met à disposition. Militer veut dire vouloir influer sur des cibles spécifiques pour les amener à prendre des décisions dont les effets seront bénéfiques pour l’organisation, ses activités et les valeurs qu’elle défend. Certaines organisations le font tout naturellement (Greenpace, Fondation Mozaïk, Fondation des femmes, Fondation Abbé Pierre, partis politiques, etc) et leur communication le reflète. Alors que d’autres n’ont aucun intérêt à positionner leur stratégie de communication sur le terrain du militantisme, car elles seront moins crédibles du fait de leurs activités et de leur impact sur la société.

Servir une cause, est-ce un des rôles de la communication d’entreprise ?

Irène Fasseu :
Une entreprise qui considère que ses activités, au-delà des bénéfices financiers, doivent servir également le collectif et le commun, va chercher à valoriser ces engagements.
Si l’entreprise sert une cause précise, c’est le rôle de la communication de s’appuyer sur les actions concrètes réalisées au bénéfice de cette cause, de rendre ces actions lisibles et audibles. La question à laquelle tous les communicants doivent répondre est dans quel but/pourquoi l’entreprise sert-elle cette cause ? Pourquoi communiquer là-dessus ? Et en quoi ces actions concrètes sont-elles bénéfiques pour l’entreprise ?
J’ai toujours travaillé dans des organisations où le sens des activités et le fait qu’elles concourent directement à l’intérêt général et au vivre-ensemble, étaient très clairs et évidents. Ma problématique principale en tant que dircom, avec mes équipes, a souvent été d’adresser le bon message à la bonne cible et au bon moment.

Agathe Weil :
La communication, c’est avant tout se poser la question de l’intention. Pourquoi je communique ? A quel objectif stratégique cela répond ? La communication peut donc servir tous les objectifs, tous les sujets, donc bien entendu aussi des causes. Ce sera notamment le cas des entreprises à mission.
L’entreprise est une actrice sociale et donc citoyenne. Si servir une cause n’est pas sa vocation première, rien ne l’empêche de le faire, bien au contraire.
La question primordiale à se poser est celle de la légitimé de l’entreprise à prendre la parole sur un sujet. Même si l’engagement peut partir d’une conviction personnelle, il faut que cela ait du sens avec la stratégie de l’entreprise, que ce soit crédible par rapport à la réalité employeur, que ce soit lisible pour toutes les parties prenantes.

Quel rôle peut jouer la communication pour retrouver de la conversation / du débat dans la société ?

Irène Fasseu :
Il y a toujours de nombreux sujets et préoccupations sociétales auxquels nous sommes confrontés en tant que citoyen, consommateur, collaborateur, individu, et qui nous préoccupent dans notre quotidien. En tant que professionnels de la communication, nous savons que nos missions sont importantes et que nous contribuons à créer de la valeur sociale. Il nous faut rester à l’écoute de tous ces sujets pour interroger la manière dont notre organisation peut potentiellement s’en saisir et/ou être impactée. Il ne faut pas avoir peur d’ouvrir le débat en interne et en externe, si cela peut servir les activités et les collaborateurs de l’entreprise : comment aujourd’hui notre entreprise traite la question de l’inclusion ? Celle de la reconnaissance des identités plurielles et des origines diverses ? Ou encore la question de la parentalité ? Les communicants ne sont pas des spectateurs, mais des acteurs du débat.

Agathe Weil :
La communication peut être considérée comme de la propagande, un acte de publicité agressif qui vise à imposer un point de vue. Dans ce cas, il est impossible qu’elle participe à un débat. La prétendue conversation ressemblera à une suite de monologues segmentés chacun dans leur silo.
Pour un débat serein, une communication responsable n’aura pas pour objectif d’imposer ou corriger une opinion puisque une opinion n’est pas un fait, c’est un point de vue. Le ou la communicante devra garder en tête de faire de la pédagogie, expliquer et décortiquer le point de vue de l’entreprise ou de l’organisation qu’elle représente. Il en va de sa responsabilité de ne pas donner son avis personnel mais bien de définir les objectifs, analyser les cibles, choisir un angle de communication, déterminer les messages émotionnels et enfin les outils et canaux pertinents pour atteindre son intention de communication (embarquer, convaincre, protéger…).

Écrit par :

Agathe Weil et Irène Fasseu

Paroles de dircoms

Être directeur ou directrice de la communication est avant tout un métier de l’ombre. C’est peut-être la raison pour laquelle ces professionnels prennent peu la parole. Celle-ci est pourtant utile pour partager des convictions, des expériences, des expertises… voire indispensable, pour mieux expliquer à celles et ceux qui ne connaissent pas les missions et responsabilités de la communication, ou faire comprendre à d’autres qui en douteraient, que la com est un métier.